jeudi 21 mai 2015

Pour faire vivre des assemblées citoyennes : ni centralisme cybercratique, ni consensus à 2h du mat'.



 Philippe Gastrein

L’évolution en Espagne des mouvements sociaux et des propositions politiques assorties sont pour nous, en France, objet d’inspiration. Cependant nous nous en faisons souvent une vision idéalisée, voire mythifiée, qui nuit à la transposition dans le contexte de français de propositions politiques pertinentes. Déjà le Mouvement du 15 Mai (souvent nommé chez nous « des Indignés ») a fait rêver celles et ceux qui cherchent à faire vivre une forme de démocratie radicale, spontanée et assembléaire. Non seulement ce mouvement fut un feu de paille qui disparût des places après quelques mois, mais surtout on pourrait lui reprocher d’avoir raté le rendez-vous des urnes lors des élections anticipées de 2011, et d'avoir ainsi laissé Rajoy prendre le pouvoir pour appliquer l’austérité à la sauce PP. Aujourd’hui Podemos est perçu par beaucoup comme la continuité des Indignés, y compris en Espagne. Or le mode d’organisation de Podemos consiste en l’exact contraire de la démocratie horizontale expérimentée sur les places par le mouvement du 15M. Il s’agirait plutôt d’un centralisme cybercratique (voir supra) dont les contradictions risquent d’apparaître très porchainement, faisant de Podemos un second feu de paille dans l’histoire espagnole.

Il me parait important de bien comprendre les fragilités de ces deux expériences espagnoles afin de trouver les bons équilibres pour réaliser ici en France des Assemblées Citoyennes (AC) qui articulent implication citoyenne large et crédibilité politique dans la capacité à prendre et assumer le pouvoir.

En effet, nous avons en Espagne, d’une certaine manière, des expériences politiques qui explorent les limites de deux logiques antagoniques.

Les indignés, faiblesses de la démocratie radicale tout de suite.
D’une part le 15M s’est construit avec la conviction qu’il faut appliquer tout de suite la démocratie sous sa forme radicale et idéale : pas de délégation, décision au consensus…
            A l’échelle de l’Histoire espagnole, cette radicalité a justifié le refus de participer aux élections anticipées de novembre 2011, ni même d’appeler à voter pour aucun parti. L'écrasante victoire du PP qui s’en est suivie a permis aux partisans de l’austérité d’approfondir le traitement de choc initié par le PSOE de Zapatero. Le PP y apportant sa « touche » répressive et réactionnaire, en particulier dans le domaine de la répression du mouvement social (lois anti-syndicalistes, loi anti-manifestations, mesure de criminalisation des militants s’opposant aux expulsions, etc.) et la remise en cause de droits fondamentaux (recul du droit à l'IVG, etc.).
            Au-delà de ce raté stratégique, qui pourrait être imputable à la naïveté sympathique du mouvement, ceux qui y ont participé rapportent un essoufflement interne. L’exigence de consensus rendait les décisions impossibles, pire donnait le pouvoir de décision aux plus acharnés, aux plus agressifs. En effet, aucune décision ne se prenait tant qu’un seul participant de l’assemblée croisait les bras. Du coup les argumentations continuaient. Les participants les moins motivés, ceux qui continuaient à avoir une activité professionnelle ou avaient des obligations familiales, finissaient par quitter l’assemblée, et la décision « au consensus » se prenait à 2h du matin, entre les restants, ceux qui dormaient sur place…  Nous avons observé les mêmes phénomènes en France autour des ZAD…

Podemos, faiblesses du centralisme cybercratique.
Podemos, d’autre part, s’organise de manière diamétralement opposée, quoiqu’en pense ceux qui restent persuadés qu’il s’agirait d’une continuité du 15M. L’exécutif du nouveau parti n’intègre aucune minorité, et est composé d’un cercle resserré de proches de Pablo Iglesias. Le succès populaire de Podemos doit beaucoup au charisme médiatique de son leader. Du coup, les décisions prises par vote internet suivent largement les avis de celui-ci, indépendamment des discussions qui peuvent avoir lieu sur le terrain entre militants. On assiste en quelque sorte à un « centralisme cybercratique ». Cette forme d’organisation ne génère pas de militantisme sur le terrain. Elle démontre même que le « cyberactivisme » ne remplace pas le militantisme de terrain. Plus encore, le succès de Podemos dépend de la couverture médiatique qui lui est accordée, et donc doit sacrifier sur le contenu de son discours pour être accepté par le formatage médiatique.

S'inspirer du 15M et de Podemos, tout en évitant les écueils.

Dans notre projet de faire vivre des AC, ces deux expériences ne sont pas à négliger. Premièrement parce que chacune porte des aspirations auxquelles nous voulons répondre (exigence d’organisation plus horizontale, ambition d’expérimenter des formes de démocratie radicale pour le 15M ; ambition de prendre le pouvoir pour de bon, et donc de rassembler une majorité, sans se faire récupérer par la « caste » ou « l’oligarchie » pour Podemos). Deuxièmement, parce que ces faiblesses induites par des choix extrêmes dans les formes d’organisation sont autant de leçon qui peuvent nous permettre d’éviter ces travers.

Essayons de formaliser la méthode d’implication citoyenne, en particulier l’articulation entre organisation en assemblées et soutien des partis déjà constitués.

Résumons d'abord l’expérience d’Aveyron Majorité Citoyenne menée avec un certain succès (Pour plus de détails, lire cet article de Guilhem Serieys) pour les dernières élections départementales :

Rassembler une base de soutien citoyen le plus large possible.
La méthode suivie a été de proposer la signature d’un appel dans les réseaux politiques et dans le mouvement social. Cet appel était court. Il cadrait l'orientation politique des signataires avec 3 marqueurs politiques clairs et concis : refus et indépendance vis-à-vis de la politique gouvernementale austéritaire, refus de la réforme territoriale en l’état, opposition au projet de Grand Marché Transatlantique (GMT). Et surtout il proposait une méthode : co-élaboration du programme et désignation des candidats en AC.

Nécessité d'impliquer les partis politiques susceptibles d'être en cohérence avec la démarche au plus tôt.
Le relatif succès qu’a rencontré ce texte (200 signatures en un mois, presque 300 après la campagne) a été largement obtenu grâce au soutien des partis politiques à la démarche, en particulier du PCF et du PG. Ainsi, second aspect de méthode, il est important d’impliquer les partis et les collectifs en amont pour s’assurer de leur soutien à la démarche.

Assurer une démarche citoyenne sincère.
Ensuite, au cours de la campagne, là où la dynamique des AC a prise, c’était là où les citoyens n’avaient pas l’impression que tout avait déjà été décidé par les partis. En effet, pour rendre possible la démarche à l’échelle départementale, il a fallu recourir sur certains cantons à des accords d’appareil « à l’ancienne ». Ce sont sur ces cantons où nous constatons la moindre progression électorale d’AMC, comparée aux résultats du candidat Front de Gauche à la présidentielle de 2012. Cependant, on voit des militants politiques aguerris prendre goût à cette forme d’implication citoyenne, y compris là où elle n’a pas été réalisée dès le départ de la campagne.

Laisser la créativité collective expérimenter hors des vieilles habitudes des partis.
Enfin, dans le processus de co-élaboration du programme, les militants politiques des partis se sont fait un peu bousculer sur leur habitude de dénoncer et ainsi de se positionner systématiquement comme opposants. Les participants aux AC pour qui il s’agissait souvent d’une premier engagement politique refusaient d’organiser le discours de campagne autour d’une dénonciation du personnel politique adverse, mais plutôt autour de propositions positives et concrètes de ce que nous ferons une fois au pouvoir. Ce discours positif, a posteriori, a certainement été parmi les facteurs du relatif succès d’AMC dans les urnes.

La crédibilité se gagne en chemin.
Après les élections, l’envie est forte parmi les participants des AC de continuer la démarche. Surtout, on constate un certain gain en crédibilité de la démarche, puisqu’en certains endroits les AC organisées après le premier tour attire plus de participants qu’avant, notamment des citoyens précédemment engagés dans des démarches de citoyenneté participative, proche dans la méthode avec AMC, mais qui étaient resté de côté pendant la séquence électorale.

Enjeux de la démarche citoyenne

Au niveau théorique, l’enjeu de la démarche est de répondre à une aspiration profonde chez nos contemporains d’un réel renouveau de la démocratie. Plusieurs signes indiquent qu’une majorité de nos concitoyens veulent prendre part aux décisions qui les concernent. Non seulement en ont-ils le désir, mais surtout en ont-ils les capacités. Le niveau d’éducation et les modes d’organisation du travail qui ont poussé à l’autonomie individuelle font que chacun se sent capable de décider sur les grandes questions qui le concernent, mais surtout supportent de moins en moins que ces questions soient traitées de manière manifestement inappropriée et opaque. Cependant ces mêmes raisons font que cette génération avide d’autonomie est incapable de s’organiser collectivement. Il est donc illusoire de croire qu’un mouvement spontané émergera de ces aspirations. Nous avons la responsabilité de proposer un outil politique pour que cette génération s’en saisisse. Notre responsabilité est d’autant plus grande que le niveau de dépolitisation de la population est telle qu’un outil d’expression citoyenne similaire, mais avec un contenu ultralibéral, voire xénophobe, en résonnance avec l’individualisme ambiant, aura certainement le même succès. Pour autant, cet individualisme ne rentre pas forcément en contradiction avec une aspiration à la solidarité. Surtout il peut être contrecarré par l’argument rationnel que les grands problèmes auxquels chacun est confronté (précarité économique, dégradations environnementales, etc.) ne peuvent être réglés que par des solutions collectives.

Pour répondre à cet enjeu, il est nécessaire de proposer donc un outil politique crédible et sincère. C’est là où le rôle des partis est critique. Sans le soutien des militants des partis clairement engagés dans la lutte contre l’austérité, pour la solidarité et la transition écologique, aucun mouvement citoyen ne réunira la crédibilité nécessaire pour entraîner derrière elle un nombre significatif de citoyen. Cependant, ce qui freine autant l’adhésion populaire autour d’un projet d’implication citoyenne, c’est la suspicion quant aux intentions manipulatrices des partis. Il faut reconnaître à cette suspicion l’expérience malheureuse, parfois traumatisante, de précédents où l’on a vu des partis tenter de récupérer de telles initiatives parfois pour les trahir. Il s’agit donc de garantir la sincérité de la démarche. C’est pour cela qu’il est important de n’accepter des accords d’appareil que pour garantir la sincérité et la transparence de la démarche. Surtout, il importe de bien penser les règles de prise de décision : convocation d’AC sur la base des signataires à l’appel, co-élaboration en assemblée des éléments programmatique, désignations des candidats en assemblée, etc. C’est là aussi où il importe de définir les relations entre futurs élus et AC : charte d’engagement, charte ANTICOR… Il faut bien veiller à ce que l’engagement des futurs élus vis-à-vis des AC ne constitue pas une concession à la tendance consumériste des citoyens. Il s’agit au contraire que cet engagement soit réciproque : là où le futur.e élu.e s’engage à présenter les dossiers sur lesquels il aura à statuer, les AC s’engagent à les travailler avec lui et à rédiger avec lui des contre-propositions, voire à établir des contre-expertises en s’appuyant sur les compétences présentes dans l’AC ; là où l’élu.e s’engage à faire entendre les revendications du mouvement social dans les institutions, les AC s’engagent à relayer et appuyer par leur mobilisation militante les revendications qui ont été défendue dans les institutions…

Pour les partis, et surtout pour les militants de ces partis, il s’agit de ne pas oublier les raisons profondes pour lesquelles ils ont adhéré à leur parti, ne pas oublier qu’il ne s’agit pas d’une adhésion à un nom, un sigle, une histoire, mais bien la volonté de changer les choses, et pour cela de convaincre une majorité de ces concitoyens de choisir un certain type de politique. Il s’agit donc de se convaincre que les AC sont l’outil politique pertinent pour atteindre cet objectif. Pour autant, cela ne signifie pas la dissolution des partis pour cause d’inutilité. Au contraire l’existence de collectifs organisés comme le sont les partis est essentiel à la réussite de la démarche d’implication citoyenne. Les partis, de par leur expérience historique, seront particulièrement vigilants aux tentatives de récupération du mouvement par ceux-là même qui ont tout intérêt à ce que rien ne change. Les partis apportent une capacité d’organisation et de planification qui a du mal à émerger rapidement dans un collectif nouvellement constitué : prévoir les échéances électorales, envisager les rythmes militants dans le temps, anticiper des chocs externes (manœuvres des adversaires, événements internationaux, cycles économiques, etc.), savoir-faires militants (conception et diffusion de matériel de propagande, organisation de meeting, services d’ordre, etc.)… Surtout les partis, de par leur assise nationale, et parfois internationale, sont plus en mesure de réaliser une coordination du mouvement à grande échelle géographique (grande région, nation…).

Ce rôle des partis dans le soutien aux AC implique forcément de reconsidérer l’activité interne de ces partis. En premier, il s’agit d’affirmer que le soutien aux AC ne devient pas la seule activité des militants. Des réunions internes régulières restent nécessaires pour échanger et concevoir une analyse politique cohérente de la situation politique au fur et à mesure de son développement. Ce travail de réflexion étant nécessaire pour ensuite alimenter le travail des AC. Il importe aussi que le parti continue à avoir une activité de formations internes, tournées vers des tâches militantes utiles aux AC : animation des AC qui favorise la parole de tous (par exemple, scénarisation qui empêche la monopolisation de la parole par quelques uns fort en gueule…), mutualisation des savoir-faire militants, etc.

Le processus d’AC que nous envisageons constitue en soi un outil d’éducation populaire. Dans la pratique même des AC, nous apprenons collectivement à faire vivre une démocratie plus profonde, plus authentique. Mais aussi, il s’agit de ne pas perdre de vue les enjeux sociaux, économiques et environnementaux que doivent relever notre société. Il s’agit aussi dans les contenus des échanges en AC de politiser les questions. Ne pas avoir peur des questions ultra-locales du quotidien, mais de faire l’apprentissage collectif de l’articulation entre ces questions et des enjeux plus globaux, surtout d’apprendre à traiter ces questions collectivement dans la perspective de l’intérêt général.

Elargir la méthode d'implication citoyenne à l'échelle de la grande région LR/MP.

Notre ambition aujourd’hui est de transformer cet essai pour l’élargir sur la grande région. A cette échelle, nous devrons avoir recours aux outils de consultation par internet. C’est là où le modèle Podemos doit être bien considéré, de manière critique.

Reprenons les points de méthodes appliquées pour Aveyron Majorité citoyenne.

Rassembler une base citoyenne crédible à travers un appel régional, cette étape est en cours, et ne devrait pas poser de difficultés insurmontables, sinon les difficultés relationnelles habituelles dans les relations unitaires.

Nécessité d'impliquer les partis politiques susceptibles d'être en cohérence avec la démarche au plus tôt. Là aussi, la difficulté théorique n'est pas énorme. Sans négliger pour autant les difficultés pratiques auxquelles nous seront vitre concrètement confrontés. Nous y avons déjà répondu par l'établissement d'un calendrier serré pour prendre les autres organisations de vitesse.

Assurer une démarche citoyenne sincère.
C'est là où cela va être le plus compliqué. Autant pour les départementales, on a pu légitimement organiser des AC par canton, pour les régionales il faudra co-élaborer un programme avec des AC sur 13 départements, et faire émerger des listes de candidats pour chacun de département, et enfin décider d'une tête de liste unique (ou binôme?) pour toute la nouvelle grande région. C'est dans ce processus compliqué qu'il faudra s'inspirer de manière critique de ce qui s'est passé ces dernières années en Espagne. Le travers de l'organisation horizontale sera certainement rapidement repoussé, vu les échéances à respecter, et surtout vu que l'objectif dès le début sera de se présenter à une élection. Les partisans inconditionnels de la démocratie radicale ne seront certainement pas de la partie. Par contre, il s'agira d'être vigilant sur les travers du centralisme cybercratique à la Podemos. Ce travers ne viendra certainement pas par une main mise par un petit cercle hiérarchisé sur lorganisation, ou sinon les deux premières étapes de notre projet auront été des échecs. Il faudra plutôt batailler pour éviter de tomber dans un autre travers : celui de s'enfermer dans des accords d'appareil en préalable aux travaux des AC. Ce sera à mon avis un des rôles majeur du parti de gauche : assumer des transactions d'appareil, d'y faire peser ce qu'il peut dans le rapport de force, mais pour la finalité de faire vivre la démarche citoyenne de la manière la plus dégagée possible des logiques et des intérêts d'appareil.
Par contre une forme de « centralisme cybercratique » peut se mettre en place qui court-circuite l'importance des discussions et des décisions prises sur le terrain en AC, et transforme la démarche citoyenne en une sorte de forum politique où l'emporteront les plus aguerris dans le cyberactivisme. En particulier, dans le choix des candidats, ne pouvant se connaître physiquement dans des assemblées, ce sont des personnalités déjà connues,  et en mesure d'organiser des formes de marketing politique sur les réseaux et dans les média conventionnels, qui obtiendront selon toutes probabilités le plus de suffrage.
Pour éviter ce travers, nous devons tout inventer, car nous n'avons aucun modèle. Je liste ici quelques idées personnelles qu'il s'agira d'enrichir ou contredire dans nos réflexions communes.
                        Nous disposons déjà d'un outil informatique, développé dans le cadre du m6r. Pour moi, le fait qu'il s'agisse d'outil fait avec des logiciels libre, et dans l'esprit du libre, compte tout particulièrement.
                        Il faut penser par ailleurs une articulation obligatoire entre AC « réelle » et débat et prise de décision sur le réseau. Les documents de base pour le programme devront par exemple forcément émerger de forums départementaux, interdépartementaux ou régionaux. Ensuite seulement ils pourront être soumis à des processus de discussion et d'amendement par internet. Mais toujours avec des contributions remontant d'AC locales. Il sagira dinstituer des porteurs de parole (ou secrétaires) qui réunissent à loccasion de chaque AC des éléments qui enrichissent le programme, qui relèvent des questions qui émergeraient ici, et qui pourraient trouver réponse dans le cadre dune autre AC, etc.
 Pour ce qui est des candidatures, on pourrait imaginer sur le même principe que tout candidat doit être présenté par une AC, et refuser des candidatures personnelles.
                        Enfin, pour dégonfler le risque d'inflation « marketing » sur les personnalités, qui nous ferait basculer in fine dans un système de primaire à l'étasunienne, on pourrait imaginer d'introduire du tirage au sort parmi des candidats légitimés par les AC et le vote des signataires de l'appel (voir proposition d'un mode de désignation des candidats dans un troisième article).


Pour conclure, il s’agit de ne pas perdre de vue l’objectif de société que nous nous donnons. Pour moi, l’écosocialisme présuppose la conviction que l’intelligence collective est supérieure au génie de quiconque pris isolément. Il s’agit pour autant d’être lucide sur la situation matérielle et culturelle de nos sociétés. L’application de but en blanc de méthode démocratique radicale sera condamnée à l’échec du fait des inégalités économiques qui permettront toujours à quelques uns de corrompre, et du fait de notre manque de maturité collectif. Il suffit de participer au fonctionnement de n’importe quelles associations pour se rendre compte à quel point est répandu parmi nous l’attitude d’être « démocrate » tant qu’on n’est pas en responsabilité, et à quel point le pouvoir, dans des institutions déresponsabilisantes, corrompt. La grève civique qui s’exprime par l’abstention relève essentiellement d’une rupture de confiance entre les outils politiques existants et la majorité de nos concitoyens. Les AC doivent avoir l’ambition de retisser cette confiance civique qui est absolument nécessaire à la paix dans nos sociétés. Nous devons donc assumer d’en faire des lieux d’éducation populaire, polarisés pour des choix de sociétés clairs : solidaires et écologiques.

lundi 18 mai 2015

Système proportionnel de liste ouverte avec clause de garantie

Traduction de l'article de Rafael Pla Lopez, mathématicien à l'université de Valence.

Introduction:

Nous parlons de liste ouverte quand chaque électeur peut voter pour n'importe quel candidat indépendamment de la manière avec laquelle il a été présenté.

Nous parlerons de système proportionnel quand, dans le cas où une partie de l'électorat vote en bloc de la même manière, ils obtiennent au minimum un nombre de représentant qui s'écartent de pas moins que de l'unité de la part proportionnelle exacte qui leur correspond. Nous parlerons de proportionnalité forte quant ils l'obtiennent aussi au maximum.

Cette proportionnalité peut être garantie avec différentes méthodes. Une de celles-ci est l'utilisation du vote ordonné pondéré, où chaque électeur assigne un ordonnancement entre candidats et à chaque candidat choisi reçoit une note différente en fonction de la position à laquelle il a été assigné. On peut établir différentes pondérations. Par exemple:
  • Diviser par l'ordre de classement à laquelle il a été assigné (c'est à dire diviser par 1, 2, 3, 5... à la manière de la règle de Hondt)
  • Diviser par les chiffres impairs successifs (1, 3, 5, 7... à la manière du système de Saint-Lagué)
  • Multiplier par le nombre de candidat à élire plus 1 moins l'ordre de classement (par exemple, dans le cas de 10 candidats à élire, multiplier par 10, 9, 8, 7...)
Avec n'importe laquelle de ces pondérations, si tous les électeurs votent en différents blocs pour des listes disjointes de candidats, le résultat est proportionnel selon la définition précédente (bien que, par exemple, avec les diviseurs de Saint-Lagué, on obtient une meilleure approximation de la proportionnalité exacte, et avec le système multiplicatif on obtient la moins bonne approximation). Mais, si une majorité d'électeurs croisent leurs votes, choisissant leurs candidats dans des ordres différents, ils pourraient obtenir une représentation supérieure à ce qui leur correspondrait proportionnellement. Pour l'éviter, il faut ajouter une clause de garantie de la proportionnalité.

Celle-ci peut être réalisée sous différentes formes. En particulier, à la VII assemblée de Esquerra Unida del Pais Valencià [Gauche Unie en Pays Valencien], du 3 décembre 2000, un système mixte a été approuvé, où les électeurs peuvent éventuellement opter entre voter par liste ouverte, ou bien sur des candidatures fermées, garantissant la proportionnalité pour celles-ci par le système du plus grand reste [Resto Mayor] ou de Saint-Lagué, selon qu'ils s'agirait de simplement répartir des postes, ou bien de les ordonner.

Cette méthode peut être appropriée pour faire primer le respect de la pluralité propre à mouvement politique et social. Dans d'autres cas, sans doute, on peut être d'abord intéressé par la cohésion, en évitant d'avoir recours à des candidatures fermées pour garantir la proportionnalité. Ceci peut se faire avec la méthode décrite dans un autre article [en valencien!] utilisant la classification des bulletins avec la loi d'Ondt ou de plus grand reste [Resto Mayor]


Annexe:
Feuille de dépouillement:

Nom :
N°1 ............ :                / 1 =
N°2 ............ :                / 2 =
N°3 ............ :                / 3 =
...
                     TOTAL         =



lundi 20 avril 2015

Podemos, un feu de paille?

Cet article fait suite à une discussion que j'ai eu avec David Hernandez Castro, animateur des écosocialistes de la région de Murcia, le 15 avril 2015.
- Philippe Gastrein

Alors que beaucoup d'entre nous sont persuadés du succès certain de Podemos dans les mois à venir, plusieurs signes indiqueraient plutôt que sa dynamique est entrain de s’essouffler, voir de refluer. Pour David, la marche pour le changement, dans les rues de Madrid, convoquée par Podemos le 31 janvier dernier aura été son chant du cygne. Un an plus tôt, les participants d'une marche semblable convoquée par le mouvement social (les « marées ») se comptaient en million, et non en centaines de milliers. Les résultats aux élections régionales d'Andalousie, de 15 %, sont bien inférieurs à ce qu'escomptait la direction de Podemos : autour de 25 %. Aujourd'hui les intentions de vote de Podemos sont en baisse, et il serait heureux si Podemos conserve 15 % des suffrages quand les élections générales arriveront en novembre ou en janvier prochain.

Pour David, ces difficultés de Podemos, voire son reflux, s'expliquent par les contradictions propre à Podemos, dont il m'avertissait depuis l'été dernier. On peut synthétiser ces contradictions en deux choix stratégiques : a) une organisation très hiérarchisée et centralisée autour de Pablo Iglesias et b) le refus d'assumer un discours « à gauche » et de proposer une idéologie. David résume avec ironie ces positions par le « centralisme cybercratique ».

a) Une organisation hiérarchisée et centralisée

Dès après les élections européennes de 2014 où Podemos avait fait la surprise, obtenant 8 % des suffrages, et 5 eurodéputé.e.s, en seulement 5 mois d'existence, le projet de Pablo Iglesias annonçait une volonté d'un exécutif resserré, en opposition avec un projet de parti alternatif, porté par des membres d'Izquierda Anticapitalista (NPA espagnol), qui était plus horizontal. La fondation en parti de Podemos au cours de l'automne 2014 va confirmer ces orientations, avec des statuts ne laissant aucune place à un éventuel courant minoritaire dans l'exécutif.
Cette forme d'organisation est en contradiction avec les attentes de la majorité de ceux qui y adhèrent, puisque ceux-ci viennent pour beaucoup du Mouvement 15M (Indignés), ou en tout cas pensent rejoindre ce qui en serait la continuation. Cette fausse perception est d'ailleurs celle qui domine parmi nous en France. Malgré le succès des « cercles », organes de rencontre et d'organisation locaux de Podemos, les statuts du nouveau parti ne leur donnent quasiment aucun pouvoir décisionnel. Les décisions des militants qui s'engagent concrètement sur le terrain, consacrent du temps aux réunions, etc. sont court-circuités par des référendums sur internet. Or le nombre d'adhérents de Podemos (adhésion gratuite) étant supérieur de 100 voir 1000 au nombre de militants de terrain, les débats qui peuvent avoir eu lieu en assemblée comptent pour rien dans les décision finale validées par des votes par internet. Plus pervers, le poids médiatique de Pablo Iglesias est tel qu'il peut remporter la décision par ses seules consignes de vote, quelque soit l'implication militante des militants locaux. Des situations de ce type se sont produites déjà à plusieurs reprises, notamment à Murcie même, où la candidate aux européennes désignée par les cercles locaux s'est faite remplacée par une proche d'Iglesias, inconnue localement.
Il se trouve que David porte une grande estime personnelle à Pablo Iglesias, et ne doute pas de son engagement à gauche. Pour autant, le pouvoir corrompt, même les meilleurs. Surtout, ce « centralisme cybercratique », s'il se pérennise, induira, pour les futures structures politiques qui l'adopteront, un fonctionnement basé sur le charisme des personnalités politiques, semblable aux primaires de type étasuniennes, où gagnera le plus doué à appliquer un bon marketing politique. Déjà en Espagne, on voit un renouvellement des porte-paroles des différents courants politiques, pour mettre en avant des jeunes, avec belles gueules et joli bagout…
La conséquence concrète de cette organisation pour Podemos, c'est la faiblesse, voire l'absence, de son réseau de militants locaux. En fin de compte, Podemos se résume à un petit cercle d'universitaires, pour beaucoup experts en Sciences Politiques. Cette faiblesse du militantisme est entre autre la conséquence de l'absence d'ouverture pour des minorités organisées. Pour rentrer dans Podemos, il faut abandonner ses appartenances partidaires précédentes. Plus encore, il est interdit de créer dans Podemos des cercles qui reproduiraient des associations préexistantes. Du coup, pour un militant aguerris d'une des différentes organisations de gauche, le choix se limite à soit rester hors de Podemos, soit y entrer en se dissolvant dans une masse où la parole d'Iglesias à un poids hégémonique, tout au plus est-il possible d'y être un partisan démonstratif d'Iglesias pour exister… L'autre cause de ce manque de militantisme est la faiblesse, pour ne pas dire l'absence, de formation politique au sein de Podemos. Elle se limiterait à une formation à l'utilisation des nouvelles technologies.

Cette faible formation politique proposée aux adhérents de Podemos répond d'ailleurs au choix stratégique assumé de ne pas cliver dans le discours.

b) Refus d'assumer un discours idéologique clivant.

L'intention derrière ce choix stratégique est d'attirer les électeurs traditionnels du PP (parti conservateur, largement héritier du franquisme) et du PSOE. Au niveau stratégique, on pourrait reconnaître des parallèles avec ce qui a fait le succès du Front National en France. Il s'agit de se dire ni de droite, ni de gauche, pour viser une majorité populaire. Pour autant, dans la culture politique des porte-paroles de Podemos, il n'y a aucune ambiguïté avec l'extrême droite. Seulement, leur refus d'assumer une idéologie, d'assumer même une polarisation à gauche, conduit à renoncer à toute éducation populaire, ce qui rend leur électorat volatil. Volatilité qui semble se confirmer en ce moment même au profit d'un mouvement aux racines clairement droitières : « Cuidadanos » (citoyens).

Ni de droite, ni de gauche.
En effet Podemos refuse de se dire de gauche. Il parle de « caste » et de « peuple ». S'il met en avant quelques mesures qui pour des gens politisés sont clairement de gauche, il insiste surtout sur le renouvellement des pratiques politiques. Cette stratégie a fonctionné jusqu'à présent, principalement grâce à l'aide apportée par le monde médiatique, qui pensait ainsi affaiblir Izquierda Unidad (IU, l'équivalent du Front de Gauche, sans équivalent du Parti de Gauche, et donc avec un PCE tout à fait hégémonique au milieu d'une galaxie de micro-partis, souvent régionaux). Seulement maintenant que Podemos apparaît comme un candidat sérieux au pouvoir, les médias se sont retournés contre lui, l'attaquent de la même manière infamante que nous connaissons un peu partout. Mais surtout, les média soutiennent un nouveau mouvement, « Cuidadanos », qui, avec un objectif non affiché, mais connu, clairement ultra-libéral et réactionnaire, joue sur le terrain de Podemos de la promotion des nouvelles manières transparentes de faire de la politique. Cuidadanos en quelques semaines d'existence réuni 10 % des suffrages aux élections régionales d'Andalousie, et ne cessent de monter dans les sondages, alors qu'on assiste à un reflux de Podemos. Vraisemblablement les électeurs du PP qui avaient été attirés pas Podemos se tournent vers Cuidadanos, dès que la possibilité leur en est donnée. Ce faisant, la crédibilité de Podemos diminuant, on peut s'attendre à ce que nombre d'électeurs traditionnels du PSOE retournent à leur vote habituel… Il faut indiquer aussi ici que si IU a vu son ascension dans les sondages avant les Européennes stoppée par l'arrivée de Podemos, elle garde depuis une base de 8-10 % d'intention de vote (8 % aux élections d'Andalousie), plutôt stable.

Aucune lisibilité pour la gauche anti-austéritaire pour les élections locales de mi-mai.
En terme de stratégie d'alliance, le refus de Podemos de se situer à gauche l'a conduit à refuser tout rapprochement avec IU. Cela a conduit à des situations d'une extrême confusion, en particulier dans la préparation des élections municipales et régionales qui sont prévues pour la mi-mai. Premièrement Podemos, n'ayant pas de force militante crédible localement, a refusé de s'engager dans les élections municipales (il aurait été fréquent sinon de voir des ex-PP admirateurs d'Aznar devenir tête de liste de Podemos dans nombre de petites et moyennes communes). Ensuite, pour les grandes villes, et pour les communautés autonomes, pour répondre aux demandes pressantes de sa base, Podemos a posé des conditions strictes à toute participation électorale. En particulier, le refus de voir nul part accolé les sigles de IU et de Podemos. Du coup se sont créés des intitulés disparates, qui ont ensuite été victimes des dissensions entre partenaires, de dépôt de marque par des adversaires, etc. En fin de compte, aucun nom identifiable ne réunit pour les prochaines élections toutes les organisations de gauche opposées à l'austérité. On trouve même le même nom utilisée par des organisations concurrentes dans des municipalités voisines (« Cambiemos » soutenu par IU contre podemos ici, et soutenu par Podemos contre IU juste à côté…, « Ahora Madrid », « Ganar », etc.).
Enfin, le phénomène Podemos a aussi induit un désengagement du mouvement social qui a été pourtant si puissant l'an passé. Partout s'est installée la conviction que la solution aux difficultés communes viendra d'une prise du pouvoir prochain dans les institutions. Dans la gauche espagnole, nous sommes en somme passé d'un extrême à l'autre : de la conviction portée par les « indignés » que c'est uniquement par les mouvements sociaux, organisés horizontalement que viendra le changement nécessaire au dépassement de la crise sociale et économique, à la conviction portée par Podemos qu'il faut en priorité obtenir le pouvoir dans les institutions pour insuffler d'en haut, avec les meilleurs, le changement de toute la société.

Vers un reflux de Podemos ?

En fin de compte, le présupposé philosophique de Pablo Iglesias explique ses choix stratégiques. Il s'inscrit dans la continuité de Platon : le bon gouvernement est celui des meilleurs. C'est ce qui pour lui justifie d'encadrer Podemos par un cercle restreint et cohérent d'universitaires, la plupart collègues dans les mêmes départements de Sciences Politiques. C'est aussi ce qui explique la méfiance vis à vis des choix collectifs qui pourraient émerger des cercles.

Cependant ces choix risque d'être lourd de conséquence pour la gauche espagnole.
En terme stratégique, la « caste » reprend la main en utilisant la stratégie même de Podemos, et faisant apparaître « Cuidadanos ».
La situation économique dans les prochains mois ne va pas jouer en faveur de l'argumentaire de Podemos. Elle va certainement se stabiliser momentanément. Beaucoup vont se laisser persuader que les choses vont mieux, que les sacrifices auront été utiles. D'autant plus que beaucoup se sont finalement habitués à la précarité, à accepter des travaux pour des salaires et des horaires qui auraient paru scandaleux il y a 4 ans, et qui paraissent aujourd'hui comme une chance…

Surtout la fragilité militante de Podemos le rend vulnérable à une action déterminée et synchronisée d'un petit groupe de militant extérieur. Cette situation a été illustré à Murcie-ville ces dernières semaines. L'alliance entre IU et Podemos, du nom de « Cambiemos », a été actée aux conditions de Podemos : l'organisation de primaires absolument ouvertes, sans garantie préalable sur une représentation minimale des différentes organisations qui soutenaient la démarche. Les cadres de podemos s'y sont présentés sûrs d'obtenir les meilleurs résultats. Les cadres de IU, militants aguerris, ont fait une campagne de terrain dans les réseaux du mouvement social avec toute leur expérience. Ce sont finalement des militants IU qui raflèrent les 4 premières places de la liste. Face à ce résultat tout à fait inattendu, IU elle-même proposa de cèder ses places à Podemos. Mais ce fut la direction locale de Podemos qui refusa cet arrangement. Du coup Podemos à Murcia s'est scindé entre ceux qui continuent à soutenir Cambiemos, et ceux, surtout parmi les cadres, qui refusent le résultat de la primaire, ajoutant à la confusion… Un tel événement pourrait se produire partout en Espagne pour Podemos.

La situation politique n'est pas pour autant désespérée pour la gauche anti-austéritaire en Espagne. Pour David, la porte de sortie à cette impasse se trouve dans le rapprochement de Podemos avec IU. Les appareils des deux organisations sont très antagonistes. Mais IU est en crise depuis la création de Podemos. En particulier, des groupes proches de Podemos, autour de Tania Sanchez, sont sortis d'IU et sont entrain d'organiser une association politique pour les élections municipales à Madrid (« Ahora Madrid ») qui pourrait à terme jouer le rôle de pont entre Podemos et IU. Il faudrait cependant que Podemos se décide à polariser son discours, et que le PCE cesse de vouloir contrôle de manière hégémonique IU ou les alliances électorales qu'il soutient.