jeudi 4 avril 2013

Lettre ouverte aux catholiques qui ont manifesté contre le mariage pour tous.

Je me réjouis que, comme moi, vous pensez que notre foi chrétienne commune induise un certaine vision de la dignité humaine justifiant que l'on se mobilise dans les affaires de la cité, au point de manifester dans la rue. Vous vous êtes mobilisé contre la loi élargissant aux personnes homosexuelles les droits liés au mariage civil. J'ai bien entendu que les organisateurs des deux grandes manifestations ont insisté pour dire que cette mobilisation ne relève pas de l'homophobie. Peut être aviez-vous au début du débat un gêne à l'évocation de la possibilité que deux individus de même sexe éprouvent l'un pour l'autre une tendresse et un amour qui soit aussi fort et sincère que la tendresse et l'amour qui fondent depuis plusieurs siècles le mariage chrétien entre une épouse et un époux. Mais j'ai bien entendu que depuis vous considériez les droits garanties à tout type de couple par le PACS comme suffisants, et donc acceptables et légitimes. Si vous vous êtes mobilisés, c'est pour défendre la dignité de la personne humaine, et surtout celle des plus faibles, en particuliers des enfants. Vous êtes aussi contre l'exploitation du corps des femmes. L'argent et la prétention d'un droit à l'enfant ne peuvent justifier que l'on instrumentalise l'utérus d'une femme. Comme moi, vous êtes contre la grossesse pour autrui.

Après la manifestation, beaucoup d'entre vous êtes frustrés par les réactions qu'elle a provoquées. Vous espériez que le gouvernement écoutent vos revendications. Vous ne vous attendiez pas évidemment qu'il recule sur tout. Nous sommes bien tous d'accord que la rue ne gouverne pas. Mais si vous avez jugez utile de manifester dans la rue contre une loi proposée par des députés récemment élus, c'est que vous considériez qu'une telle mobilisation d'une partie des citoyens de notre pays devrait induire un dialogue constructif quant bien même une majorité aurait voté pour des élus qui portent un programme opposé. Je me réjouis que vous ayez cette vision apaisé et participative de notre démocratie. Je me réjouis que dorénavant quand une mobilisation similaire en nombre aura lieu, serait-ce pour des idées contraire aux vôtres, vous serez favorables à ce que les élus de la République, que vous ayez voté pour eux ou non, engagent un dialogue constructif avec les représentants de ces manifestants. Je constate d'ailleurs, et le déplore, que le gouvernement actuel n'a pas cette vision de la démocratie, et vous traite avec mépris. J'imagine que, au moins rétrospectivement, vous déplorez le mépris avec lequel ont été traité les manifestants qui vous ont précédé dans l'opposition à la politique de ce gouvernement et qui, le 30 septembre 2012, manifestaient contre la ratification du traité européen instituant l'austérité comme règle de gouvernement dans notre pays. De même déplorez-vous certainement le mépris avec lequel ont été traité ceux qui ont manifesté contre les réforme des retraites du gouvernement précédent.

Du côté des média, beaucoup d'entre vous se sentent insultés par la manière avec laquelle ils ont rendu compte de votre mouvement. Vous avez été surpris et blessés par l'image de vous que l'on a renvoyé, pleine de stéréotypes et d'amalgames. Comme si vous n'aviez été qu'une masse de bourgeois réactionnaires haineux. Évidemment aucun de vous ne correspond à cette caricature. Vous étiez divers. Chacun de vous avez une vie riche, complexe. Vos opinions sont nuancées. Votre mobilisation ne procède pas d'une hargne viscérale, mais d'une décision raisonnable et mûrie. Sûrement le saviez vous avant, mais dorénavant vous en êtes encore plus persuadés : il faut être vigilant sur la manière avec laquelle les média rendent compte de certains événements. Vous serez critiques quand on vous fera des caricatures aussi vulgaires des participants à d'autres manifestations. Vous ne verrez plus dans les manifestations de défense des droits des travailleurs des syndicalistes aigris et corporatistes. Comme vous, ces gens-là ont une vie riche et complexe. Leurs opinions sont nuancées. Leur mobilisation ne relève pas d'une « grogne » sangliérine, mais d'une réflexion mûrie et raisonnable. De même quand on vous parlera de manifestations dans des quartiers populaires, vous ne penserez pas à ces « jeunes » comme à des « sauvageons », mais comme à des jeunes gens qui ont la même jeunesse que vos enfants, et qui, comme eux, se révoltent face à l'injustice et rêvent de bonheur pour eux et les leurs. Vous avez aussi été surpris de découvrir en rentrant que des événements violents ont eu lieu en marge de cette manifestation. Puis outrés que ces événements marginaux soient montés en épingle. Du coup, vous serez dorénavant vigilant quand, pour rendre compte d'un mouvement social, en France ou à l'étranger, on ne montre que des images violentes. Vous prendrez l'habitude de demander à ceux qui y étaient. De même que ceux parmi vous qui ne font pas confiance aux chiffres donnés par les services de l'état pour évaluer l'ampleur de la mobilisation, ne leur font pas subitement confiance quand ils sont contesté par les organisateurs d'autres types de manifestations...

Vous vous êtes mobilisés non pas pour une haine mesquine et médiocre contre des gens qui seraient différents de vous. Vous l'avez affirmé haut et fort : cette manifestation n'est pas homophobe. Vous aviez à cœur l'intérêt général, le droit des plus faibles, en particulier celui des enfants. En ce sens votre engagement est noble. C'est l'exercice de votre citoyenneté, qui est votre devoir. Vous concevez tout à fait que l'on peut ne pas être d'accord sur le fait que cette loi soit un danger pour les enfants. C'est pourquoi vous avez eu recours à des arguments rationnels. Vous n'avez pas brandi la Bible, mais le Code Civil. Vous n'avez pas fait référence à une loi divine, mais à des références anthropologiques qui peuvent se discuter. Vous avez aussi montré, et peut être découvert, une France diverse, qui peut se mobiliser sur une même question, avec des références religieuses et philosophiques divergentes. Vous avez fait vivre la France républicaine et laïque, côte à côte avec des musulmans, avec des protestants, avec des athées, avec des juifs, et même avec des personnes homosexuelles. Vous avez fait vivre l'idée républicaine selon laquelle ce n'est pas la religion, les origines ethniques, ou l'orientation sexuelle qui rendent français, mais la volonté commune de vivre ensemble. Et en effet vous avez montré que vous aviez la volonté de vivre avec des musulmans, des juifs, des protestants, des athées et des personnes homosexuelles dans une nation qui partage les mêmes références anthropologiques.

C'est avant tout les enfants que vous défendiez. Afin qu'ils ne soient pas instrumentalisés par les adultes. Qu'ils ne souffrent pas des choix posés par les adultes autour d'eux. Vous voulez les garantir contre la précarité et l'arbitraire affectifs. Vous n'êtes pas de ceux qui pensent que l'amour est précaire par essence. Ce sont les égoïsmes qui le précarisent. C'est un combat que nous menons dans notre intimité, car chacun d'entre nous sommes traversés par des égoïsmes dont nous voyons bien qu'ils déstabilisent nos amours. Mais cet enjeu ne se limite pas à l'intimité. Si vous êtes sortis dans la rue, c'est que vous pensez aussi que des décisions collectives peuvent favoriser soit la stabilité de la fidélité et de l'amour, soit encourager l'illusion du plaisir facile et libre des égoïsmes. Parmi ces décisions collectives figurent les lois, mais aussi les réalités économiques. Des cartes publiées dans « Le mystère français » de Todd et Le Bras montrent une très forte corrélation entre chômage et occurrences des familles monoparentales (1). Cette corrélation géographique ne doit pas tenir à une causalité directe. Nous voyons bien que les régions où il y a un fort chômage sont aussi les régions où ceux qui travaillent acceptent plus facilement des conditions de travail difficile, par peur du chômage justement. Or la doctrine sociale de l’Église (2) est ferme pour dire que le travail doit être un lieu de promotion de la dignité humaine, et non une fin. C'est le sens du jour chômé institué par le récit de la Genèse, le Sabbat des juifs et le repos dominical que nous avons eu à défendre l'an dernier. Le travail doit donc laisser le temps d'élever ses enfants. Le travail doit donc assurer une stabilité à la vie des familles. Le travail ne doit pas être un lieu de souffrance, non seulement parce qu'aucun travailleur ne le mérite, mais aussi parce que les parents sont des travailleurs et que leur souffrance se répercuterait sur leur enfant. Alors je pense que vous condamnez aussi fermement le projet de loi qui est en discussion cette semaine, qui prévoit de changer le code du travail de telle sorte que la précarité devienne la règle dans le travail. En particulier les employeurs pourront exiger plus de mobilité des salariés (3), donc des familles déstructurées parce que séparées géographiquement, ou désorganisées dans ses rythmes de vie. Certainement entendez-vous dire que cette loi permettra de maintenir de l'emploi car les entreprises ont besoin de ce genre de flexibilité. Mais si pour vous le droit des enfants prime, alors je vous fait confiance pour considérer que le droit des enfants à grandir dans des familles stables, où l'amour comme les conditions de vie ne sont pas précaires, prime. Vous proposiez un dialogue au gouvernement pour trouver des solutions qui rendent justice aux revendications des personnes homosexuelles sans sacrifier le droit des plus faibles. De même, vous penserez qu'un dialogue est nécessaire pour trouver des solutions qui permettent que les productions et les services dont nous avons besoin soient réalisés, mais que le droit des plus faibles doit être le critère qui nous guide pour discerner entre les différentes manières d'organiser le travail et le partage des richesses produites qui existent. J'imagine donc que vous serez aussi très nombreux aux manifestations du 9 avril contre ce projet de loi.

J'ai entendu aussi que vous repoussiez absolument le principe de la « grossesse pour autrui ». Vous savez qu'il n'en est finalement pas question dans la loi finale. Mais vous êtes vigilants parce que cela a été proposé pendant les débats. Et vous avez raison. Du coup, vous continuerez à vous mobiliser pour toutes les mesures qui rendront tout à fait impossible, dans les faits et dans les principes, le recours à une telle exploitation du corps des femmes. Or le combat contre la grossesse pour autrui relève des mêmes principes que le combat contre la prostitution. Il s'agit dans un cas comme de l'autre de l'exploitation du corps des femmes. Dans un cas comme dans l'autre, ceux qui y sont favorables et qui y ont recours prétendent qu'ils ont un droit imprescriptible, et que c'est pour eux la seule manière de l'obtenir : obtenir des enfants portant son matériel génétique dans un cas, avoir une relation sexuelle dans l'autre cas. Dans les deux cas, notre conviction que l'humain n'est pas que matière mais avant tout spiritualité voit bien que l'essence même de ce dont il s'agit est pervertie. Dans la filiation, ce n'est pas seulement le partage d'un matériel génétique qui importe, mais c'est surtout l'accueil gratuit d'un enfant. Une relation sexuelle n'est pas la mise en action mécanique des organes sexuels entre deux êtres humains, mais une rencontre réciproque qui ne peut être que gratuite. Peut être avez vous entendu parler des associations abolitionnistes, c'est à dire celles et ceux qui luttent pour abolir la prostitution, qui ont pris position contre la grosses pour autrui depuis plusieurs années. Aujourd'hui ces associations demandent une loi d'abolition de la prostitution qui entre autre prévoirait une pénalisation des clients de la prostitution. Une telle pénalisation des clients de la prostitution rendrait tout à fait impossible la reconnaissance du recours aux mères porteuses, car c'est le même refus de l'instrumentalisation du corps d'autrui qui serait inscrit dans la loi de notre République. Conscients de cette profonde solidarité entre la cause du refus des mères porteuse et la cause de l'abolition de la prostitution, je vous fait donc confiance pour faire autant d'effort pour participer à la manifestation qu'organise les associations abolitionnistes le samedi 13 avril.

Personnellement, je n'ai pas été convaincu de la dangerosité de la loi sur le « mariage pour tous ». Mais je respecte et estime la mobilisation à laquelle vous avez participé. Je déplore le mépris avec lequel beaucoup vous traite. Je vous fait confiance pour ne pas me traiter avec ce mépris quand je participerai à des manifestations pour la défense des droits des plus faibles, quant bien même vous penserez que les raisons que nous invoquerons ne sont pas convaincantes. Je vous ai écouté et je continuerai à vous écouter pour essayer de vous comprendre. Pourquoi pensez-vous que le fait que deux hommes ou deux femmes élèvent un enfant soit si dangereux pour lui ? Jusqu'à présent je n'ai pas été convaincu, ni par les arguments « anthropologiques », ni par les références faites à notre commun patrimoine spirituel qu'est la Bible. Je sais aussi que vous m'écouterez, et que vous écouterez vos frères chrétiens, quand nous essaierons de vous mobiliser sur le droit des étrangers à vivre dignement dans notre pays, comme les prophètes nous y invitent. Certainement serons-nous donc beaucoup plus nombreux aux cercles du silence. J'imagine que la prochaine fois qu'il y aura une initiative pour l'annulation de dettes odieuses, comme cela avait été le cas pour le Jubilé de l'an 2000 à l'invitation de Jean-Paul II, les catholiques se compteront par millions dans les . Je vous fait confiance pour vous mobilisez contre le système prostitueur que Benoît XVI condamnait en 2011 comme « un crime contrel'humanité ».

Adelphiquement,
Philippe Gastrein


1. « Le mystère français » Hervé le Bras et Emmanuel Todd, Ed. Seuil – La République des idées ; pp. 190 et 193.
2. Rappelé encore récemment dans le message du pape Benoît XVI à l'occasion de la journée mondiale pour la paix, le 1er janvier 2013 (http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/messages/peace/documents/hf_ben-xvi_mes_20121208_xlvi-world-day-peace_fr.html): « Le modèle prévalant des dernières décennies postulait la recherche de la maximalisation du profit et de la consommation, dans une optique individualiste et égoïste, tendant à évaluer les personnes seulement par leur capacité à répondre aux exigences de la compétitivité. Au contraire, dans une autre perspective, le succès véritable et durable s’obtient par le don de soi, de ses propres capacités intellectuelles, de son esprit d’initiative, parce que le développement économique vivable, c’est-à-dire authentiquement humain, a besoin du principe de gratuité comme expression de fraternité et de la logique du don. »
3. Article 7 de l'Accord National Interprofessionnel signé le 11 janvier 2013, que la loi en débat est censé reprendre mot pour mot.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bravissimo !