mercredi 17 avril 2013

Les mariages homosexuels sont-il forcément des mariages prostitutionnels? - Ni plus ni moins.


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Cet article fait partie de la série: "Contre les mariages prostitutionnels".

Par rapport aux mariages qui deviennent un lieu d’exploitation d’un conjoint par l’autre, ou une institution qui se fait complice d’un système d’exploitation, est-ce-que le fait que les deux conjoints aient le même sexe induit forcément un rapport d’exploitation ? Au contraire, nous constatons que la demande d’obtenir une institution équivalente au mariage pour les homosexuels provient justement d’un besoin vécu par plusieurs couples homosexuels de protéger juridiquement la solidarité qu’ils souhaitaient vivre ensemble. L’épidémie de SIDA a notamment provoqué nombre de situations dramatiques où des couples avaient tout mis en commun par amour, mais où le ou la survivant.e se retrouvait dépossédé.e par les ayant droits selon la loi. 
 
Est-ce-qu’uncouple homosexuel serait incapable de se respecter réciproquement ? L’argument souvent défendu par ceux qui discréditent la formation de couple homosexuelle consiste à dire qu’il s’agirait d’une forme de narcissisme à deux. Les personnes homosexuelles auraient évité de rencontrer l’autre sexe par incapacité à s’ouvrir à la différence. On pourrait déduire cette affirmation du commentaire de la création de l’humanité dans la différence des sexes. Or ce que dit la différence des genres, ce n’est pas une dichotomie absolue entre le masculin et le féminin. Nous savons bien que personne n’est absolument masculin ou féminin. S’il est besoin de démontrer que nul en humanité n’est assigné à un sexe, régulièrement naissent des individus hermaphrodites. Les différents caractères sexuels sont déterminés par des processus biologiques complexes résultant de l’interaction entre l’environnement et le patrimoine génétique de chaque individu, comme tout processus biologique. L’identité de genre n’est donc pas la conséquence directe du patrimoine génétique de l’individu, quand bien même cet individu dispose d’un patrimoine génétique qui détermine sans ambiguïté son identité sexuelle. La différence de genre représente l’altérité la plus évidente au sein de l’humanité, et en même temps l’altérité qui ne peut se nier par l’exclusion. On ne peut pas affirmer qu’un seul des sexes représenterait la « vraie » humanité tellement il est incontournable qu’il faut des femmes et des hommes pour reproduire l’humanité. L’humanité créée femme et homme, c’est aussi l’humanité incluant toute altérité entre humains. L’humanité, femme et homme, à la ressemblance de Dieu, c’est aussi la nécessité d’embrasser toute la diversité de l’humanité pour envisager Dieu. Il n’est donc pas nécessaire d’être face à un individu de l’autre sexe pour être confronté à l’altérité. On peut d’ailleurs tout autant nier l’altérité tout en vivant dans un couple hétérosexuel. N’est-ce pas ce qui se passe en partie quand les couples se choisissent à l’intérieur d’une même classe sociale, dans un groupe de même opinion ou de même confession, ou encore à l’intérieur d’une même apparence raciale ? Quand la violence conjugale éclate, c’est en fin de compte le symptôme que le couple, quoiqu’hétérosexuel, ne parvient pas à se rencontrer dans l’altérité. La violence est alors un moyen pour obliger l’autre à se conformer à ce que je veux qu’il soit, sans trop déranger mes pré-représentations.


Laquestion de l’accueil des enfants cristallise aussi l’oppositionau mariage homosexuel. Evacuons tout de suite la question des mères porteuses : ces situations relèvent clairement des mêmes logiques que la prostitution. Dans le cas de l’adoption ou de la procréation médicalement assistée par don de sperme pour des couples de femmes, je ne vois pas en quoi le processus d’accueil de l’enfant dans ces couples diffère phénoménologiquement de tout accueil d’enfant. A moins de croire que le lien génétique entre parents et enfants est indispensable. Cette obsession de la matérialité biologique de la filiation me semble être une forme d’idolâtrie qui nie la profonde originalité de tout nouveau né, qui lui refuse son mystère. On entend beaucoup dire que les enfants auraient besoin d’un modèle masculin et féminin pour se construire. Il est étrange que les institutions qui ont organisé des pensionnats où les enfants étaient instruits non seulement dans un environnement non mixte mais aussi par des corps enseignants du même sexe, découvrent aujourd’hui les mérites éducatifs de la mixité. Mais tout de même, la famille « traditionnelle » que nous rapportent les romans du XIXe siècle donnait-elle vraiment une place égale aux pères et aux mères ? Ne voyons-nous pas des modèles familiaux où le père était absent ? Cette situation ne perdure-t-elle pas dans les familles où le père se sacrifie (ou fuit) au travail ? L’Eglise a-t-elle alors milité pour que les pères prennent vraiment leurs places ? A-t-elle milité pour réduire les temps de travail afin que les parents des deux sexes puissent passer plus de temps avec leurs enfants ? (En fait, sur ce dernier point, c’est vrai, le catholicisme social a été de ce combat). Le poursuivons-nous, et pas seulement pour défendre le repos dominical ? Tout ce que je peux lire à propos d’enfants élevés dans des couples homosexuels semble indiqué qu’ils ne sont pas mieux ni moins bien éduqués que les autres, ils n’en deviennent pas moins des humains, avec leur histoire particulière comme tout un chacun. Et avant même les couples homosexuels réunis par un amour érotique, n’a-t-il pas de tout temps existé, du fait des aléas de la vie, des parents homosexuels, au sens où les adultes en charge de l’éducation de l’enfant était du même sexe, rassemblés pour s’occuper de l’enfant par des liens de parenté ou d’amitié ? N’a-t-on pas vu une grand-mère aider sa fille-mère, deux oncles recueillir leur neveu orphelin, etc ? Face à ces situations où manquait un « référent masculin ou féminin », le bon sens n’a-t-il pas toujours préféré que l’enfant grandisse auprès d’adultes qui l’entourent d’amour, et qui sont eux-mêmes liés par des solidarités de fraternité, d’amour filial ou d’amitié ? Enfin je trouve la soudaine passion pour la filiation biologique chez certains courants de pensée chrétiens surprenant. N’avons-nous pas dans nos communautés des couples, certes hétérosexuels, qui ont adopté des enfants, souvent de couleur de peau manifestement différente ? Certes nous voyons bien que ces adoptions ne sont pas toujours heureuses, que ces familles sont confrontées à de questions spécifiques. Les enfants peuvent souffrir de racisme, ils peuvent se poser des questions existentielles qui amplifient les difficultés de l’adolescence, ils peuvent avoir vécu dans les années qui précédèrent l’adoption des choses traumatisantes. Et de toute manière les parents adoptifs sont confrontés aux mêmes défis que tout parent, en particulier le défi d’élever ses enfants de manière chaste. Ces familles sont souvent animés d’une réelle et sincère générosité : faire profiter d’un environnement digne et aimant à des enfants abandonnés, souvent dont le lieu de naissance les condamnerait à la misère. On pourrait pourtant les suspecter d’être habité par une revendication du « droit à l’enfant ». Adoptent-ils parce qu’ils sont stériles ? Parce que la femme ne veut ou ne peut plus supporter une nouvelle grossesse ? Je ne crois pas que nous traitons avec ces suspections infamantes les couples de nos communautés qui adoptent. Pourquoi les réservons-nous aux couples homosexuels ? Tout le monde aujourd’hui dans l’Eglise ne se défend-il pas d’être homophobe ?

Oui, un couple homosexuel peut être un couple prostitutionnel. Il existe de la prostitution homosexuelle, en particulier dans les milieux homosexuels masculins. Les personnes homosexuelles peuvent aussi se laisser aspirer par la cupidité, devenir carriériste, etc. Il existe aussi de la violence parmi les personnes homosexuelles. On trouvera des hommes homosexuels machistes, et des femmes homosexuelles vouant une véritable haine du sexe masculin. On trouvera même des couples homosexuels du type « cage au folle », où un des partenaires croyant se féminiser s’humilie en endossant le rôle d’une femme soumise, qui n’est pas le vrai visage de la féminité. Enfin on trouvera des couples homosexuels portant l’exigence d’un droit à l’enfant. Quitte à instrumentaliser le corps d’une femme pour lui faire porter un enfant. En effet la question des mères porteuses partage de nombreux points communs avec la prostitution. Son organisation pratique suppose un échange d’argent, ne serait-ce que pour assurer l’existence de la mère porteuse pendant la grossesse. Elle répond à un désir qui est perverti en un besoin, ou même en droit. Elle introduit dans la sphère marchande un échange ou une pratique qui devrait absolument rester gratuite si l’humanité veut rester humaine. Donc effectivement, il faut s’opposer de toutes nos forces au développement des mères porteuses. 

Donc oui, tout à fait, les mariages homosexuels peuvent être des mariages prostitutionnels. Mais ni plus ni moins que les mariages hétérosexuels. Les difficultés à vivre dans la fidélité et la chasteté sont aussi difficiles mais autant humanisant dans les couples homosexuels que dans les couples hétérosexuels. Justement, si ces hommes et ces femmes s’aiment, s’ils souhaitent vivre en solidarité comme des époux mariés, s’ils sont prêt à être responsable devant la communauté humaine jusqu’à accueillir des enfants, pourquoi les empêchons-nous de tenter un chemin que nous savons être un chemin de bonheur, un chemin de libération et un chemin d’humanisation, un chemin donc qui mène aussi à l’amour de Dieu ? Nous savons que ce chemin est semé d’embûches, qu’il longe les ravins de la prostitution où l’on peut tomber à tout instant. D’autant plus n’ajoutons pas des difficultés aux difficultés qu’ils rencontreront de toute manière ! Aidons-les plutôt, soutenons-les. Et laissons-nous aussi nous convertir par eux. Nous croyons trop facilement que nos enfants sont comme une extension de nous même, qu’ils ne couperont jamais le cordon ombilical ? Laissons-nous convertir à l’accueil de la différence dans nos propres enfants en voyant ces couples adopter. Nous voulons à tout prix que notre couple soit « normal », c'est-à-dire conforme à une norme, à un modèle. Laissons nous convertir à écouter nos désirs profonds et les appels des circonstances ! Qu’y avait-il de « normal » dans la Sainte-Famille ? une mère vierge, un père putatif, un fils fugueur… 
 
Non, à mon avis, il n’y a rien de spécifiquement prostitutionnel dans les mariages homosexuels. Ils sont confrontés aux mêmes tentations de s’abandonner aux logiques de la prostitution que les couples hétérosexuels. Mais, par l’originalité inhérente des familles qu’ils fondent, ils peuvent nous aider à trouver de nouvelles ressources pour vivre les épousailles. Jésus d’ailleurs nous a peut être déjà donné un de ces couples en exemple de foi. Quelle était au juste la relation du centurion avec son esclave « qui lui était cher » (Lc 7,2), lequel centurion demanda à Jésus de guérir son esclave, « son enfant » (Lc 7,7) ? Comme souvent dans ce genre de situation, l’évangéliste est discret, on pourrait dire qu’il a du tact. De même, parmi les femmes en qui la tradition croit voir des prostituées, aucune n’est ainsi clairement désignée par les évangélistes. Cependant dans le contexte de l’époque, connaissant les mœurs des romains, il est plausible que ce centurion était l’amant de son cher esclave. Et si ce n’était le cas, les contemporains de la scène pouvaient néanmoins suspecter que ça l’était. On pourrait arguer que dans ce cas les « anciens des juifs » qui transmirent les premiers la demande de guérison ne l’aurait pas fait. Or ils vendent la mèche : ce n’est pas seulement parce qu’il aime la nation juive, mais aussi parce qu’il « nous a bâtit la synagogue » qu’il est digne (Lc 7,5). Et en effet, alors que Jésus s’approche, le centurion envoie un deuxième groupe de messagers, des amis cette fois, pour lui dire que ce n’est pas la peine qu’il entre chez lui. Il doit savoir qu’il serait cause de scandale pour cet homme qu’il admire, et pas seulement parce qu’il représente l’ennemi. Cependant Jésus déclare à propos de cet homme : « pas même en Israël je n’ai trouvé une telle foi » (Lc 7,10). Et depuis, à chaque célébration eucharistique nous faisons notre à peu près sa profession de foi : « je ne suis pas digne de te recevoir, mais dit seulement une parole et [je] serais guéri ».

Enfin je relève un dernier argument contre le mariage homosexuel. Cela provoquerait une « révolution anthropologique » catastrophique pour nos sociétés. Cela provoquera un changement anthropologique profond, certes, et de toute manière il est en cours, et la loi court derrière plutôt qu’elle ne le provoque. Comme tout changement, il provoquera des secousses, mais je ne crois pas qu’il sera catastrophique. Là aussi il est surprenant que tout à coup l’Eglise se mette à s’inquiéter des chocs anthropologiques qu’on peut faire subir à une société. N’a-t-elle pas été partie prenante du choc anthropologique le plus violent car le plus massif et le plus brutal en temps qu’a peut être connu l’humanité, c'est-à-dire les colonisations européennes ? Certes les écroulements démographiques des Amériques après Colomb doivent beaucoup aux épidémies et aux massacres directs, ce que l’on ne peut pas tout à fait reprocher à l’Eglise, ne serait-ce que grâce au combat de Las Casas. Mais d’autres maux sont comptables de ces écroulements démographiques : alcoolisme, épidémie de suicide, apathie. On observe ces phénomènes encore aujourd’hui parmi des peuples qui ont fait récemment la rencontre de la civilisation globale. Les églises ne sont-elles pas aussi entrain d’œuvrer pour une révolution anthropologique profonde dans plusieurs pays d’Afrique ? Pour faire disparaître la polygamie, l’excision et nombre de rites initiatiques de la jeunesse ? La christianisation de l’Europe n’a-t-elle pas aussi été accompagnée de révolutions anthropologiques ? Fin des sacrifices humains (quoiqu’on a continué à mener des guerres sacrificielles), promotion de l’existence juridique de chaque personne (abolition du Pater familias), promotion même de l’autonomie des femmes (obligation du consentement mutuel pour le mariage, possibilité de choisir le célibat consacré) ? Ces révolutions n’ont pas été sans violence, comme souvent contre-révolutionnaires. La majorité des saints martyrs des premiers siècles sont des femmes assassinées en raison de leur refus de se soumettre à l’autorité paternelle. Aujourd’hui, la persistance de la prostitution dans nos sociétés manifestent que nous avons devant nous des révolutions anthropologiques à opérer, en particulier qu’il devienne inconcevable de pouvoir obtenir une relation sexuelle contre de l’argent.

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