vendredi 8 février 2013

C'est l'amour qui rend parent, et non la filiation biologique.




L'argument de l'importance quasi sacrée de la filiation biologique pour les enfants a été de plus en plus développé dans les milieux chrétiens à l'occasion du débat contre « le mariage pour tous ». Cette pente me paraît tout à fait dangereuse pour la foi chrétienne. D'abord il est difficile de ne pas y voir une grande part de mauvaise foi et de malhonnêteté intellectuelle. Il ne s'est jamais vu jusqu'à présent que les chrétiens s'opposent à l'adoption. Au contraire nombre de pratiques chrétiennes, y compris sacramentales, promeuvent l'adoption pour le bien des enfants. Comment se fait-il que la filiation se pare subitement d'une telle importance si ce n'est parce que cela devient un argument ad hoc pour s'opposer à l'adoption par des couples homosexuels ? Ensuite, en soi, l'obsession pour la filiation biologique présente le risque de finir en une idolâtrie qui nie la liberté aussi bien des enfants que celles des parents. Enfin, ce ralliement soudain à la filiation biologique fait oublier la grandeur spirituelle du processus de l'adoption. Ce que je voudrais porter en pointe de ce texte c'est que, dans la foi chrétienne, la seule filiation est divine, les parents humains ne peuvent qu'adopter. Donner trop d'importance à la filiation biologique comme condition du devenir humain relève d'une idolâtrie qui coupe de Dieu et de la liberté humaine.

En effet je trouve la soudaine passion pour la filiation biologique chez certains courants de pensée chrétiens surprenante. La tradition du parrain et de la marraine, à l'origine destinée à être un forme d'accompagnement dans l'initiation du catéchumène, n'est-elle pas devenu avec la généralisation du baptême de petits enfants une forme de désignation des adultes qui seraient destinés à adopter l'enfant s'il arrivait malheur à ses parents ? N’avons-nous pas aujourd'hui encore dans nos communautés chrétiennes des couples, certes hétérosexuels, qui ont adopté des enfants, souvent de couleur de peau manifestement différente ? Certes nous voyons bien que les adoptions ne sont pas toujours heureuses, que ces familles sont confrontées à de questions spécifiques. Les enfants peuvent souffrir de racisme, ils peuvent se poser des questions existentielles qui amplifient les difficultés de l’adolescence, ils peuvent avoir vécu dans les années qui précédèrent l’adoption des choses traumatisantes. Et de toute manière les parents adoptifs sont confrontés aux mêmes défis que tout les parents, en particulier le défi d’élever ses enfants de manière chaste. Ces familles sont souvent animés d’une réelle et sincère générosité : faire profiter d’un environnement digne et aimant à des enfants abandonnés, souvent dont le lieu de naissance les condamnerait à la misère. On pourrait pourtant les suspecter d’être habité par une revendication du « droit à l’enfant ». Adoptent-ils parce qu’ils sont stériles ? Parce que la femme ne veut ou ne peut plus supporter une nouvelle grossesse ? Je ne crois pas que nous traitons avec ces suspections infamantes les couples de nos communautés qui adoptent. Pourquoi les réservons-nous aux couples homosexuels ?
Il se dit aussi que ce qui manquerait aux enfants élevés par un couple homosexuel serait la présence des modèles de genre différenciés, c'est-à-dire un père et une mère. Or avant même les couples homosexuels réunis par un amour érotique, n’a-t-il pas de tout temps existé, du fait des aléas de la vie, des parents homosexuels, au sens où les adultes en charge de l’éducation de l’enfant était du même sexe, rassemblés pour s’occuper de l’enfant par des liens de parenté ou d’amitié ? N’a-t-on pas vu une grand-mère aider sa fille-mère, deux oncles recueillir leur neveu orphelin, etc ? Face à ces situations où manquait un « référent masculin ou féminin », le bon sens n’a-t-il pas toujours préféré que l’enfant grandisse auprès d’adultes qui l’entourent d’amour, et qui sont eux-mêmes liés par des solidarités de fraternité, d’amour filial ou d’amitié ?
On voit bien que le recours à l'argument du droit des enfants qui serait bafoué par l'adoption par des parents homosexuels relève beaucoup de la stratégie. Il s'agit de prétendre que l'opposition au mariage pour tous ne relèverait pas de motivations homophobes. Néanmoins la mauvaise foi tactique de cet argument non seulement ne dupe personne quant à l'homophobie de ceux qui se laissent convaincre par sa spéciosité, mais aussi présente de nombreux dangers spirituels.

Ces derniers mois, j'ai vu fleurir dans les publications de l'Eglise un certain nombre de témoignage qui insiste sur la connaissance de sa filiation biologique. Pourtant le jugement de Salomon nous donne une indication comment reconnaître une mère dans une situation inextricable où deux femmes revendiquent leur maternité sur un même enfant. Ce n'est pas sur la ressemblance de l'enfant avec l'une ou l'autre femme, ni par aucune preuve « naturelle », relevant de la biologie, que Salomon révélera laquelle est la vraie mère. C'est en menaçant l'enfant de mort qu'il fera se manifester laquelle des deux femmes aime tant cet enfant qu'elle le préfère voir en vie, mais confié à l'autre femme, plutôt que mort (1R 3,20-30). Car si on suit le philosophe espagnol Ortega y Gasset, aimer quelqu'un, c'est vouloir sa vie.
Et en effet, en quoi le partage d’un patrimoine génétique rend-il parent ? Cette obsession pour la filiation biologique n’est-elle pas plutôt un obstacle à la juste adoption de nos enfants ? Certes les femmes n’ont en général aucun doute sur leur maternité biologique. Mais l’angoisse des pères pour lever leur doute n’a-t-il pas des conséquences catastrophiques ? Car le processus multiséculaire d’un contrôle accru des hommes sur les femmes n’a-t-il pas pour moteur cette obsession à être sûr de la paternité ? Ce doute sur la paternité est à proprement parler un manque de foi. Manque de foi vis-à-vis des femmes qui participe à la violence de genre et manque de foi vis-à-vis des enfants. Car enfin quelle importance cela fait que nous ayons vraiment des liens génétiques avec les enfants qui nous sont donnés ? Cette obsession de la paternité n’est-elle pas une forme d’idolâtrie qui empêche d’accueillir les enfants tels qu’ils sont, et non pas comme nous voudrions qu’ils soient ? Car quand bien même nous serions assurés leur être génétiquement apparentés, il nous faut les accueillir comme des êtres absolument nouveaux, ce qu’ils sont. Nous cherchons sur leur visage des ressemblances : « il a le nez de son père » ; « elle a les yeux de sa mère et le lobe d’oreille droite de son grand-père… ». Mais comment ne voyons-nous pas que leur visage est absolument nouveau, originale, inédit ? Comment même cette quête de la ressemblance nous fait manquer le plus surprenant et le plus merveilleux dans un visage de nouveau-né : son absolue originalité !

De plus l’homme par excellence selon notre foi chrétienne, Jésus-Christ, n’a-t-il pas été adopté ? Nous voyons en Marie un modèle de foi, et c’est juste. Mais quel modèle de foi pour les pères nous est proposé en Joseph ! Combien de doutes virils aurait-il pu « légitimement » avoir ! Une mère vierge ? En tout temps et en tout lieu, un homme qui accueillerait un enfant d’une femme en croyant une telle fable est la risée de ses pairs virils. Pourtant Joseph s’est fait père pour cet enfant, et peut être à ce titre meilleur père que les hommes gonflés de leur certitude virile sur la puissance réalisée de leur sperme. Surtout, il a été père sans faire obstacle au vrai Père de Jésus. Sa manière d’éduquer Jésus, manifestement, n’a pas empêché ce dernier de découvrir sa vraie filiation. Pour nous autres chrétiens qui croyons être enfant de Dieu par le baptême, qui n’hésitons pas pour la majorité d’entre nous à baptiser très jeunes nos enfants, avons-nous tout à fait conscience de cet enjeu ? Nos enfants sont engendrés par une parenté plus importante que la parenté biologique : ils sont appelés à être fils et filles de Dieu.
Il me semble que cette spiritualité de la parentalité comme une adoption est libérante. Libérante pour les enfants au premier titre qui ne sont plus soumis à la dictature des déterminismes biologiques et culturelles. Libérante aussi pour les parents, qui non seulement sont libérés de l’obsession de la paternité, ce qui a aussi des effets libérants sur les relations dans le couple, mais surtout ne sont pas comptables de tout ce que deviendront leurs enfants. Je pense notamment aux parents nombreux qui désespèrent de voir leurs progénitures s’éloigner de l’Eglise, de leur manière de foi. Or leurs enfants souvent vivent nombre de choses dont ils pourraient rendre grâce à la lumière de l’Evangile. Le témoignage de Foi n’est pas la transmission d’une croyance en un dogme. C’est donner envie de continuer le chemin de libération entrepris dans sa propre vie, et donc partager la motivation qui était le moteur de ce combat : désir de vie, aspiration à plus grand... Nos enfants peuvent se révéler être nos devanciers sur le chemin de Foi. Jésus ne nous montre-t-il pas l’enfant comme un modèle de Foi ? Le poète, Pablo Neruda, le dit aussi de manière magnifique :

« Comme un violent orage
nous avons agité
tout l'arbre de la vie,
secoué au plus caché
les fibres des racines,
et déjà te voici
chantant parmi les feuilles,
sur la plus haute branche
que tu nous fais atteindre. »